Illustration montrant un échafaudage d’ADN maintenant deux protéines proches l’une de l’autre pendant que leur liaison est caractérisée à l’aide de la spectroscopie de force acoustique. Crédit : Vladimir Kunetki
Nous dépendons des liaisons temporaires entre protéines pour des processus essentiels tels que les réactions enzymatiques, la liaison des anticorps et la réponse aux médicaments. La capacité à caractériser précisément ces interactions est cruciale pour évaluer l’efficacité des traitements potentiels. Toutefois, les méthodologies existantes à cette fin sont limitées dans leurs capacités, que ce soit en termes de production d’informations détaillées au niveau des interactions individuelles ou d’examen de vastes quantités de ces interactions.
Dans une étude récemment publiée dans le Biophysical Journal, des scientifiques ont dévoilé une technique améliorée pour évaluer la durabilité et la robustesse des liaisons protéine-protéine dans des conditions qui imitent celles de notre corps. La méthode utilise des ondes sonores pour séparer les protéines liées et des laisses d’ADN pour maintenir les deux protéines proches l’une de l’autre afin qu’elles puissent se lier à nouveau après la rupture de leur connexion. Cette innovation permet de tester à nouveau les mêmes liaisons protéiques jusqu’à 100 fois, ce qui fournit des informations précieuses sur la manière dont la force des liaisons évolue avec le vieillissement des molécules.
« Nous voulions proposer une méthode qui soit suffisamment modulaire pour s’appliquer à différents types de liaisons, qui ait un débit raisonnable et qui atteigne une grande précision moléculaire qui n’est actuellement disponible qu’avec des techniques très raffinées, comme les pinces optiques ou magnétiques, qui sont souvent difficiles à appréhender pour les non-spécialistes », explique l’auteur principal Laurent Limozin, biophysicien au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Pour ce faire, l’équipe de Limozin, en collaboration avec des collègues de Marseille et de Paris, a combiné deux technologies existantes : la spectroscopie de force acoustique, qui permet de tester simultanément de nombreuses paires moléculaires, et les échafaudages d’ADN, qui permettent de tester les mêmes liaisons à plusieurs reprises.
Au cours de la spectroscopie de force acoustique, des paires de protéines liées sont testées à l’intérieur d’une chambre remplie de liquide. Les protéines sont retenues par un échafaudage d’ADN de sorte qu’un brin d’ADN attache la première protéine au fond de la chambre, tandis qu’un autre brin attache la seconde protéine à une petite bille de silice. Lorsque les chercheurs font exploser la chambre avec une onde sonore, la force de l’onde éloigne la bille de silicium et la protéine à laquelle elle est attachée du fond de la chambre. Si la force est suffisante, cette traction rompt le lien entre les deux protéines. Toutefois, dans cette nouvelle méthode, un troisième brin d’ADN agit comme une laisse pour maintenir les protéines proches l’une de l’autre après la rupture de leur lien.
« L’originalité de notre méthode réside dans le fait qu’en plus de ces deux brins de chaque côté, il y a au milieu cette laisse qui relie les deux brins et maintient les protéines ensemble après la rupture », explique Limozin. « Sans cette laisse, le détachement serait irréversible, mais cela vous permet de répéter la mesure presque autant de fois que vous le souhaitez.
À titre de preuve de concept, l’équipe de recherche a utilisé la technique pour caractériser deux interactions monomoléculaires d’intérêt biomédical : le lien entre les protéines et la rapamycine, un médicament immunosuppresseur, et le lien entre un anticorps à domaine unique et un antigène du VIH-1.
Les chercheurs ont observé ces cycles de liaison et de rupture à l’aide d’un microscope. La possibilité de tester plusieurs fois la même liaison protéine-protéine est importante pour étudier les variations entre des paires moléculairement identiques. Cela permet également aux chercheurs d’examiner comment ces interactions changent au fur et à mesure que les molécules vieillissent, ce qui pourrait être important pour déterminer la demi-vie des médicaments ou des anticorps.
« Cet outil nous permet d’aller plus loin et de sonder expérimentalement les idées sur l’hétérogénéité moléculaire et le vieillissement moléculaire », explique M. Limozin. « Nous pensons, comme d’autres, que la caractérisation de ces propriétés sera très utile pour concevoir les futurs produits thérapeutiques qui devront fonctionner dans des situations où des forces mécaniques sont impliquées.
Référence : « Combining DNA scaffolds and acoustic force spectroscopy to characterize individual protein bonds » par Yong Jian Wang, Claire Valotteau, Adrien Aimard, Lorenzo Villanueva, Dorota Kostrz, Maryne Follenfant, Terence Strick, Patrick Chames, Felix Rico, Charlie Gosse et Laurent Limozin, 7 juin 2023, Biophysical Journal.
DOI : 10.1016/j.bpj.2023.05.004
L’étude a été financée par AMIDEX Emergence Innovation, le programme PhysCancer du Plan Cancer, le Conseil européen de la recherche, le Human Frontier Science Program et l’Université PSL.