Une nouvelle encre composée de microbilles colorées s’adapte à l’apparence de la lumière reçue par une séparation induite par la lumière. Crédit : Université de Hong Kong
La peau des céphalopodes (animaux dont la tête est munie de tentacules) présente une extraordinaire capacité de camouflage dans la nature. Leur peau est composée d’amas de pigments capables de détecter les changements de luminosité de l’environnement et de modifier leur aspect visuel par l’intermédiaire des cellules pigmentaires. Malgré sa complexité, cette capacité de changement de couleur repose fondamentalement sur un mécanisme mécanique, où les particules de pigment sont manipulées – soit pliées, soit dépliées – sous la direction de muscles radiaux.
Ce phénomène naturel remarquable a inspiré le Dr Jinyao Tang et son équipe de recherche du département de chimie de l’université de Hong Kong (HKU). En collaboration avec des scientifiques de l’université des sciences et technologies de Hong Kong et de l’université de Xiamen, ils ont mis au point un système colloïdal intelligent innovant, sélectif en fonction de la longueur d’onde, qui facilite la ségrégation multidimensionnelle des phases sous l’effet de la lumière.
L’équipe forme des nanoclusters photochromiques dynamiques en mélangeant des microbilles de cyan, de magenta et de jaune, ce qui permet d’obtenir un photochromisme à l’échelle macroscopique. Ce photochromisme macroscopique repose sur une stratification de phase verticale induite par la lumière dans le mélange de microbilles actives, ce qui entraîne l’enrichissement des microbilles colorées correspondant au spectre incident.
Contrairement aux matériaux changeant de couleur existants, ce nouvel essaim colloïdal photochromique repose sur le réarrangement de pigments existants plutôt que sur la génération de nouveaux chromophores in situ et est, par conséquent, plus fiable et programmable. Leurs résultats fournissent une méthode simple pour des applications telles que l’encre électronique, les écrans et le camouflage optique actif, ce qui représente une avancée majeure dans le domaine de la matière active. Les résultats de la recherche ont été publiés récemment dans la prestigieuse revue académique Nature.
Ségrégation de phase tridimensionnelle et essaim colloïdal photochromique. a, Illustration de la ségrégation en couches sensible au spectre dans le système colloïdal ternaire, où différents spectres d’illumination ont donné lieu à une stratification verticale distincte. b, Distribution 3D des particules colloïdales ternaires telle qu’imagée par un microscope confocal après illumination par la lumière rouge, verte et bleue. Les colloïdes de TiO2 sensibilisés SQ2, LEG4 et L0 sont représentés en cyan, magenta et jaune, respectivement. Barre d’échelle : 50 mm. c, Un projecteur modifié est utilisé pour projeter des images en couleur. d, Six blocs de couleur sont apparus à la surface de l’encre photochromique après 2 minutes d’exposition. Encadré : le motif projeté. Barre d’échelle : 2 mm. e, Le logo de l’université est apparu à la surface de l’encre photochromique après 2 minutes d’exposition. Barre d’échelle : 2 mm. f, dessin séquentiel de l’encre photochromique avec différentes peintures de couleur après 2 minutes d’exposition. Encadré : les motifs originaux projetés. Barre d’échelle : 2 mm. Crédit : Université de Hong Kong
Les particules actives auto-actionnées sont des micro/nanoparticules qui imitent la nage directionnelle des micro-organismes dans un liquide. Elles ont récemment fait l’objet d’une attention particulière dans le domaine des nanosciences et de la physique du non-équilibre et sont en cours de développement pour des applications biomédicales potentielles. L’un des principaux objectifs de la recherche sur les particules actives est de développer des micro/nanorobots médicaux basés sur ces particules pour l’administration de médicaments et la chirurgie non invasive. Cependant, la structure des particules actives est très simple, et leur mécanisme d’entraînement et leur perception de l’environnement sont considérablement limités.
En particulier, la taille et la structure relativement simple des micro/nano particules actives individuelles limitent la complexité de la mise en œuvre des fonctions sur leur corps. Le défi et la clé de la réalisation de l’application future sont de savoir comment fabriquer des particules actives dotées de caractéristiques intelligentes en dépit de leur structure simple.
Des micro-nageurs alimentés par la lumière, un type de particules actives auto-actionnées, ont été récemment développés dans le but de créer des nanorobots contrôlables, ce qui offre un potentiel pour les applications biomédicales et les nouveaux matériaux fonctionnels car l’activité du nageur, la direction de l’alignement et l’interaction interparticulaire peuvent être facilement modulées par la lumière incidente. D’autre part, la lumière n’induit pas seulement un mouvement photosensible dans les micro-nageurs, mais modifie également l’interaction effective entre les particules.
Par exemple, les réactions photocatalytiques peuvent modifier le champ de gradient chimique local, qui à son tour affecte la trajectoire de mouvement des particules voisines par l’effet de natation diffusion, entraînant une attraction ou une répulsion à longue portée.
Dans ce travail, l’équipe de Tang a conçu un système simple de microbilles actives TiO2 sélectives en longueur d’onde, basé sur leurs recherches antérieures sur les micro-nageurs alimentés par la lumière. Lors de la photoexcitation, la réaction d’oxydoréduction sur les particules de TiO2 génère un gradient chimique qui modifie l’interaction efficace entre les particules.
En d’autres termes, l’interaction particule-particule peut être contrôlée en combinant des lumières incidentes de longueurs d’onde et d’intensités différentes. Des microbilles de TiO2 ayant des activités photosensibles différentes peuvent être formées en sélectionnant des codes de sensibilisation aux colorants ayant des caractéristiques spectrales différentes. En mélangeant plusieurs espèces de microbilles de TiO2, par ailleurs identiques, chargées de colorants ayant des spectres d’absorption différents et en ajustant les spectres de la lumière incidente, on obtient une ségrégation des particules à la demande.
L’objectif de la ségrégation de la phase des particules est de contrôler l’agrégation et la dispersion des particules dans un liquide aux niveaux micro et macro. En effet, cela a permis de créer une nouvelle encre photoréactive en mélangeant des microbilles avec différentes photosensibilités qui peuvent être appliquées au papier électronique. Le principe est similaire à celui des amas de pigments dans la peau des céphalopodes qui peuvent détecter les conditions lumineuses de l’environnement et modifier l’apparence des cellules pigmentaires environnantes par leurs actions correspondantes.
Les résultats de la recherche ont contribué de manière significative à faire progresser nos connaissances sur l’intelligence en essaim dans les matériaux actifs artificiels et ont ouvert la voie à la conception de matériaux intelligents actifs innovants. Grâce à cette avancée, nous prévoyons le développement d’une encre photochromique programmable qui pourrait être utilisée dans diverses applications telles que l’encre électronique, l’encre d’affichage et même l’encre de camouflage optique active », a conclu le Dr Jinyao Tang.
Référence : « Photochromism from wavelength-selective colloidal phase segregation » par Jing Zheng, Jingyuan Chen, Yakang Jin, Yan Wen, Yijiang Mu, Changjin Wu, Yufeng Wang, Penger Tong, Zhigang Li, Xu Hou et Jinyao Tang, 17 mai 2023, Nature.
DOI: 10.1038/s41586-023-05873-4