La course au temps nucléaire – Les scientifiques font une avancée importante

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Horloge atomique Physique nucléaire

Les horloges nucléaires, qui sont encore plus précises que les horloges atomiques, pourraient offrir aux scientifiques de nouvelles voies pour explorer les forces fondamentales de l’univers. Une équipe internationale, comprenant des chercheurs du LMU, a réalisé des progrès significatifs dans ce sens, en caractérisant avec précision l’énergie d’excitation du thorium-229, l’élément appelé à devenir le composant de mesure du temps dans les horloges nucléaires. (Concept d’artiste.)

Les horloges nucléaires pourraient permettre aux scientifiques d’explorer les forces fondamentales de l’univers dans le cadre de futurs projets de recherche. Des chercheurs de l’Université de Louvain ont franchi une étape décisive dans ce domaine dans le cadre d’une collaboration internationale.

Les horloges atomiques mesurent le temps avec une telle précision qu’elles ne gagnent ou ne perdent que moins d’une seconde tous les 30 milliards d’années. Cependant, avec les horloges dites nucléaires, il serait possible de mesurer le temps avec encore plus de précision. En outre, elles pourraient permettre aux scientifiques de mieux comprendre les phénomènes physiques fondamentaux.

« Nous parlons des forces qui maintiennent le monde en son cœur », explique le professeur Peter Thirolf, physicien à la LMU, qui effectue des recherches sur les horloges nucléaires depuis de nombreuses années. Contrairement aux horloges atomiques conventionnelles, ce type d’horloge enregistrerait les forces à l’intérieur du noyau atomique.

« Cela ouvrirait toute une série de domaines de recherche qui n’ont jamais pu être étudiés avec des horloges atomiques », ajoute Sandro Kraemer, collègue de Peter Thirolf, qui a joué un rôle majeur dans l’avancement du projet alors qu’il terminait son doctorat à la KU Leuven, en Belgique.

Peter Thirolf effectue des recherches sur les horloges nucléaires depuis de nombreuses années. Crédit : Stephan Höck / LMU

Dans la course au temps nucléaire, Thirolf et Kraemer sont dans le peloton de tête. Travaillant à la chaire de physique expérimentale de Garching, les deux scientifiques ont réalisé une avancée importante sur la voie de la première horloge nucléaire au sein d’une équipe internationale.

Comme ils le rapportent dans la revue Nature, ils sont parvenus à caractériser l’énergie d’excitation du thorium 229 avec une grande précision grâce à une nouvelle approche expérimentale. Ce noyau atomique sera utilisé à l’avenir comme élément chronométrique des horloges nucléaires. La connaissance précise de la fréquence dont il a besoin pour être excité est cruciale pour la faisabilité de la technologie.

L’horloge la plus interne

Pour une horloge, il faut un objet qui oscille périodiquement et un objet qui compte les oscillations. Une horloge de grand-père possède un pendule mécanique dont les oscillations sont enregistrées par le mécanisme de l’horloge. Dans les horloges atomiques, c’est la coquille atomique qui joue le rôle de chronométreur. Les électrons sont excités et passent d’un niveau d’énergie élevé à un niveau d’énergie faible. Il s’agit ensuite de compter la fréquence des particules de lumière émises par l’atome lorsque les électrons excités retombent dans leur état fondamental.

Sandro Kraemer

Sandro Kraemer a effectué des recherches sur l’horloge nucléaire dans le cadre de son doctorat et poursuit actuellement ses travaux à la LMU. Crédit : Stephan Höck / LMU

Le principe de base des horloges nucléaires est très similaire. Dans ce cas, nous pénétrons dans le noyau de l’atome, où l’on trouve également différents états d’énergie. Si nous parvenons à les exciter précisément avec un laser et à mesurer le rayonnement émis par le noyau lorsqu’il retombe dans son état fondamental, nous aurons alors une horloge nucléaire. La difficulté est que de tous les noyaux atomiques connus de la science, il n’y en a qu’un seul qui pourrait se prêter à cet usage : le thorium-229. Et même celui-ci est longtemps resté purement théorique.

Un noyau pas comme les autres

La particularité du thorium 229 est que son noyau peut être mis dans un état d’excitation à l’aide d’une fréquence lumineuse relativement basse – une fréquence que l’on peut à peine obtenir avec les lasers UV. La recherche est restée bloquée pendant 40 ans, car bien que les scientifiques aient soupçonné l’existence d’un noyau atomique présentant les bonnes caractéristiques, ils n’ont pas été en mesure de confirmer expérimentalement cette hypothèse.

En 2016, le groupe de recherche de Thirolf à la LMU a fait une percée en confirmant directement l’état excité du noyau du thorium 229. Cela a donné le coup d’envoi de la course à l’horloge nucléaire. Entre-temps, de nombreux groupes dans le monde entier se sont penchés sur le sujet.

Pour qu’une horloge fonctionne, il faut que l’élément de mesure du temps et le mécanisme d’horlogerie soient parfaitement adaptés l’un à l’autre. Dans le cas de l’horloge nucléaire, cela signifie qu’il faut savoir à quelle fréquence exacte oscille le noyau atomique du thorium 229. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut développer des lasers qui excitent exactement cette fréquence.

Sandro Kraemer Machine de recherche

Un seul noyau atomique connu possède les propriétés nécessaires à la mise au point d’une horloge nucléaire : le thorium 229. Pour faire tic-tac, il faut trouver la fréquence exacte de la lumière avec laquelle il peut être excité. Crédit : Stephan Höck / LMU

« On peut l’imaginer comme un diapason », explique M. Kraemer. « De même qu’un instrument de musique tente de s’adapter à la fréquence du diapason, le laser tente d’atteindre la fréquence du noyau de thorium.

Si vous deviez essayer toutes les fréquences possibles avec différents lasers, cela prendrait une éternité. Sans compter qu’il faudrait d’abord développer laborieusement des lasers dans le spectre correspondant de la lumière UV. C’est pourquoi les chercheurs ont adopté une autre approche pour déterminer la plage dans laquelle se situe la fréquence d’oscillation du thorium 229. « La nature est parfois clémente et nous offre plusieurs voies », explique Thirolf. Il se trouve que les lasers ne sont pas le seul moyen de produire l’état excité du noyau de thorium. Il se produit également lorsque des noyaux radioactifs se désintègrent en thorium 229. « Nous commençons donc par les grands-parents et les arrière-grands-parents du thorium, en quelque sorte.

ISOLDE trace de nouvelles voies

Ces ancêtres sont appelés francium-229 et radium-229. Comme on ne les trouve pas facilement dans la nature, ils doivent être fabriqués synthétiquement. À l’heure actuelle, très peu d’endroits dans le monde sont capables de le faire. L’un d’entre eux est le laboratoire ISOLDE de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) à Genève, qui a rendu possible le vieux rêve des alchimistes de transformer un élément en un autre.

Pour ce faire, les scientifiques bombardent des noyaux d’uranium avec des protons accélérés à des vitesses extrêmement rapides, produisant ainsi divers nouveaux noyaux, dont le francium et le radium. Ces éléments se désintègrent rapidement en un noyau radioactif parent du thorium 229 : l’actinium 229.

Kraemer, Thirolf et leurs collègues internationaux ont intégré cet actinium fabriqué de manière élaborée dans des cristaux spéciaux, où l’actinium se désintègre en thorium dans un état excité. Lorsque le thorium revient à son état fondamental, il émet les particules lumineuses dont la fréquence est cruciale pour le développement de l’horloge nucléaire. La démonstration de ce phénomène n’est cependant pas une tâche triviale.

Laboratoire de Sandro Kraemer et Peter Thirolf

Les prochaines expériences visant à étudier le noyau du thorium 229 dans le laboratoire de Sandro Kraemer et Peter Thirolf débuteront cet été. Crédit : Stephan Höck / LMU

« Si les noyaux ne se trouvent pas exactement au bon endroit dans le cristal, nous n’avons aucune chance », explique Kraemer. « Les électrons présents dans l’environnement absorbent l’énergie et rien de ce que nous pouvons mesurer ne parvient à l’extérieur.

Les précédentes tentatives d’insertion d’uranium dans le réseau cristallin à la place de l’actinium se sont heurtées à cet obstacle. « Lorsque l’uranium 233 se désintègre en thorium 229, il se produit un recul qui fait des ravages dans le cristal », explique M. Thirolf. En revanche, la désintégration de l’actinium en thorium cause beaucoup moins de dégâts. C’est pourquoi les chercheurs ont choisi cette voie laborieuse pour leur nouvelle étude en collaboration avec le CERN.

Le travail acharné et la patience ont porté leurs fruits : Grâce à leur nouvelle méthode, l’équipe a pu déterminer très précisément l’énergie de la transition d’état. Ils ont également démontré qu’une horloge nucléaire basée sur du thorium intégré dans un cristal était réalisable. De telles horloges basées sur des états solides auraient l’avantage, par rapport à d’autres approches, de fournir des résultats de mesure beaucoup plus rapidement, car elles travaillent avec un plus grand nombre de noyaux atomiques.

Une question de temps

« Nous connaissons maintenant la longueur d’onde approximative dont nous avons besoin », déclare M. Thirolf. La prochaine tâche consistera à s’appuyer sur ces nouvelles découvertes pour affiner progressivement l’énergie de transition exacte. Tout d’abord, les chercheurs créeront une excitation à l’aide d’un laser. Ensuite, ils pourront continuer à cibler la fréquence avec une précision croissante grâce à des lasers plus précis. Pour que cela ne prenne pas trop de temps, ils n’utilisent pas de pincettes pour trouver l’aiguille dans une botte de foin, mais un râteau.

Ce « râteau », appelé « peigne de fréquences », a été mis au point par le professeur Theodor Hänsch, collègue de Thirolf à la LMU, qui a reçu le prix Nobel de physique en 2005 pour cette réalisation. Les scientifiques peuvent utiliser le peigne pour balayer simultanément des centaines de milliers de longueurs d’onde jusqu’à ce qu’ils trouvent la bonne.

Certains défis restent à relever sur la voie des horloges nucléaires. Les scientifiques doivent mieux comprendre l’isomère du thorium, développer des lasers et élaborer des théories. « Mais cela vaut la peine de persévérer », estime M. Thirolf. « Le projet ouvre tellement de nouvelles possibilités d’application à long terme que tous les efforts expérimentaux en valent la peine », ajoute M. Kraemer.

Ces nouvelles possibilités englobent non seulement la recherche en physique fondamentale, mais aussi les applications pratiques. Avec une horloge nucléaire, les scientifiques pourraient détecter les changements les plus infimes dans le champ gravitationnel de la Terre, comme ceux qui se produisent lorsque les plaques tectoniques se déplacent ou avant les éruptions volcaniques. Grâce à ces nouveaux succès, le prix est à portée de main. Les premiers prototypes pourraient voir le jour dans moins de dix ans. « Nous pourrions même les avoir à temps pour la redéfinition de la seconde en 2030 », espèrent les deux physiciens. Les scientifiques utiliseront pour cela des horloges atomiques de pointe, voire les premières horloges nucléaires.

Référence : « Observation de la désintégration radiative de l’isomère 229Th de l’horloge nucléaire » par Sandro Kraemer, Janni Moens, Michail Athanasakis-Kaklamanakis, Silvia Bara, Kjeld Beeks, Premaditya Chhetri, Katerina Chrysalidis, Arno Claessens, Thomas E. Cocolios, João G. M. Correia, Hilde De Witte, Rafael Ferrer, Sarina Geldhof, Reinhard Heinke, Niyusha Hosseini, Mark Huyse, Ulli Köster, Yuri Kudryavtsev, Mustapha Laatiaoui, Razvan Lica, Goele Magchiels, Vladimir Manea, Clement Merckling, Lino M. C. Pereira, Sebastian Raeder, Thorsten Schumm, Simon Sels, Peter G. Thirolf, Shandirai Malven Tunhuma, Paul Van Den Bergh, Piet Van Duppen, André Vantomme, Matthias Verlinde, Renan Villarreal et Ulrich Wahl, 24 mai 2023, Nature.
DOI: 10.1038/s41586-023-05894-z