Des scientifiques découvrent les mécanismes moléculaires à l’origine du développement de la mémoire chez l’enfant

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Interneurone à parvalbumine (bleu) entouré du réseau périneuronal. Crédit : The Hospital for Sick Children (SickKids)

Comment notre cerveau développe-t-il la capacité de former des souvenirs particuliers ? Une étude préclinique pionnière menée par un groupe de recherche de l’Hospital for Sick Children (SickKids) pourrait avoir découvert une cause moléculaire à l’origine des changements de mémoire survenant au cours de la petite enfance.

Le type de souvenirs souvent associés au terme « mémoire » sont des souvenirs basés sur des événements, ou souvenirs épisodiques, qui sont associés à un certain contexte. En revanche, les souvenirs des jeunes enfants sont généralement plus généraux ou basés sur l’essentiel et n’ont généralement pas de lien contextuel spécifique.

Dans une étude publiée dans Science et dirigée par les docteurs Paul Frankland et Sheena Josselyn, tous deux chercheurs principaux au sein du programme Neurosciences &amp ; Mental Health de SickKids, les chercheurs mettent en évidence les mécanismes moléculaires qui sous-tendent le passage de la mémoire générale à la mémoire épisodique chez la souris. L’équipe note que la compréhension de ce changement, qui se produit généralement entre quatre et six ans chez les enfants, peut apporter de nouvelles connaissances dans la recherche sur le développement de l’enfant et les conditions qui affectent le cerveau, du trouble du spectre autistique à la commotion cérébrale.

« Les chercheurs étudient le développement de la mémoire épisodique depuis des décennies, mais grâce au développement d’interventions cellulaires précises, nous avons pu examiner cette question au niveau moléculaire pour la toute première fois », déclare Frankland, qui est également titulaire d’une chaire de recherche du Canada en neurobiologie cognitive.

La croissance du réseau périneuronal peut déclencher des changements dans la mémoire

Chez l’adulte, les traces mnésiques (également appelées engrammes) sont constituées de 10 à 20 % des neurones, mais la taille globale de ces engrammes est doublée chez les jeunes enfants, 20 à 40 % des neurones constituant un engramme soutenant un souvenir.

Pourquoi ce changement ? L’hippocampe, une partie du cerveau responsable de l’apprentissage et de la mémoire, contient une variété de neurones, y compris un type de cellule inhibitrice appelée interneurone exprimant la parvalbumine (PV). Ces cellules inhibitrices limitent la taille de l’engramme et permettent la spécificité de la mémoire. L’équipe de chercheurs a constaté qu’à mesure que ces interneurones mûrissent, la mémoire passe du général au spécifique et les engrammes se forment à la taille appropriée.

En utilisant la technologie de transfert de gènes par voie virale mise au point par le Dr Alexander Dityatev, chef du groupe de recherche sur la neuroplasticité moléculaire au Centre allemand des maladies neurodégénératives, les chercheurs ont décidé d’aller plus loin et d’explorer les raisons de ce changement. Ils ont découvert qu’à mesure qu’une matrice extracellulaire dense, connue sous le nom de réseau périneuronal, se développe autour de ces interneurones dans l’hippocampe, ces derniers deviennent matures, ce qui modifie la façon dont notre cerveau crée des engrammes et stocke les souvenirs.

« Une fois que nous avons identifié le réseau périneuronal comme un facteur clé de la maturation des interneurones, nous avons pu accélérer le développement du réseau et créer des souvenirs épisodiques spécifiques, plutôt que des souvenirs généraux, chez des souris juvéniles », explique M. Josselyn, titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur les bases de la mémoire.

De nouvelles connaissances sur les fonctions cérébrales et la cognition

Si l’équipe a pu déclencher ce changement de type de mémoire en accélérant le développement du réseau périneuronal, elle note également qu’il ne faut pas négliger les raisons de la différence d’âge entre les mémoires de type gist et les mémoires épisodiques.

« Lorsque l’on pense à l’utilité de la mémoire, il est logique que la mémoire d’un enfant fonctionne différemment de celle d’un adulte », explique Adam Ramsaran, doctorant au sein du laboratoire Frankland et premier auteur de l’étude. « À trois ans, il n’est pas nécessaire de se souvenir des détails. Une mémoire de type liste aide les enfants à construire une large base de connaissances qui peut devenir plus spécifique au fur et à mesure qu’ils grandissent et ont plus d’expériences. »

S’appuyant sur ces découvertes moléculaires, l’équipe de recherche a accéléré la croissance du réseau périneuronal en fournissant un environnement enrichi pour permettre la formation de souvenirs spécifiques, une découverte qui contribue à informer les recherches sur le développement de l’enfant en cours à SickKids et à l’Université de Toronto.

« En dehors du développement de la mémoire, nous avons également découvert des mécanismes similaires de maturation impliqués dans différents systèmes sensoriels du cerveau », explique Frankland. « Le même mécanisme cérébral peut être utilisé par plusieurs régions du cerveau à des fins différentes, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche et de collaboration.

Référence : « A shift in the mechanisms controlling hippocampal engram formation during brain maturation » par Adam I. Ramsaran, Ying Wang, Ali Golbabaei, Stepan Aleshin, Mitchell L. de Snoo, Bi-ru Amy Yeung, Asim J. Rashid, Ankit Awasthi, Jocelyn Lau, Lina M. Tran, Sangyoon Y. Ko, Andrin Abegg, Lana Chunan Duan, Cory McKenzie, Julia Gallucci, Moriam Ahmed, Rahul Kaushik, Alexander Dityatev, Sheena A. Josselyn et Paul W. Frankland, 4 mai 2023, Science.
DOI : 10.1126/science.ade6530

Cette étude a été financée par Brain Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), l’Université de Toronto, le SickKids Research Institute, la German Research Foundation, le German Center for Neurodegenerative Diseases, les National Institutes of Health (NIH), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Programme de bourses d’études supérieures de l’Ontario, le Programme de bourses d’études Trillium de l’Ontario et l’Institut Vecteur.